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Le déficit public, chronique d'une catastrophe assumée

Le déficit public, chronique d'une catastrophe assumée


Jamais les finances publiques n'ont été si dégradées. Mais Christine Lagarde et François Fillon sont contre la hausse des impôts. Ils comptent sur d'hypothétiques réductions de dépenses pour corriger la dérive. Analyse.

En 2012, l'élection présidentielle ne sera peut-être pas le seul grand rendez-vous de l'année. Celle-ci pourrait aussi être marquée par un événement symbolique : le dépassement du budget de l'Education nationale par celui consacré au remboursement des intérêts de la dette. Pour la première fois, la France dépenserait plus pour honorer les échéances du passé que pour préparer l'avenir de ses enfants. Aujourd'hui, l'Education (60 milliards d'euros) est le premier poste de dépenses de l'Etat. La charge de la dette, le deuxième (45 milliards). Au rythme où les déficits se creusent, augmentant mécaniquement la dette et le montant des intérêts, il suffit d'une poignée d'années pour combler cet écart de 15 milliards (1). Et faire du sujet le grand invité de la campagne électorale.

Les prévisions sont affolantes : selon l'OCDE et la Commission de Bruxelles, les déficits publics français vont atteindre 6,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2009. En 2010, ce serait 7 % (Commission) ou 8,3 % (OCDE). Le précédent « record » (6,4 % en 1993) serait pulvérisé. Est-ce grave ? « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » Le Royaume-Uni va plonger à plus de 13 % en 2010 et l'Espagne à près de 10 % (selon la Commission). Même la vertueuse Allemagne va flirter avec les 6 %. La crise est passée par là, qui nécessite de coûteux plans de relance et fait fondre les rentrées fiscales.

Pourtant, en France, c'est une autre pièce qui se joue, un scénario vieux de trente-cinq ans. « Aujourd'hui, il serait ridicule d'empêcher les déficits de se dégrader. Le vrai problème est qu'ils étaient déjà trop élevés quand nous sommes entrés dans la crise. Notre pays n'a pas su profiter des périodes de croissance pour rétablir l'équilibre », martèle, à longueur de discours, Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes. Les finances publiques ne souffrent pas de l'actuelle récession, mais d'une maladie chronique. Avant la crise, les déficits publics restaient collés à 3 % du PIB : ce qui est un maximum, fixé par le traité de Maastricht, est devenu un optimum pour la France. Après la crise, les intérêts supplémentaires engendrés par la hausse prodigieuse de l'endettement feront passer ce chiffre à 4 %.

Que la France soit en contravention avec les règles européennes n'est pas le principal problème. D'ailleurs, que deviendront les critères de Maastricht après cette période exceptionnelle ? Le vrai sujet est ailleurs, comme l'expliquait Gilles Carrez (UMP), rapporteur général de la commission des Finances à l'Assemblée nationale, lors d'un colloque organisé par l'Association pour la fondation internationale des finances publiques (le 4 mai, à Bercy) : pour tenter de limiter les déficits, et parce qu'il faut absolument payer les intérêts de la dette et les dépenses de fonctionnement, on sacrifie les investissements publics. En trente ans, leur part dans la dépense est passée de 20 % à moins de 6 %.

Temporairement gommée par la récession mondiale, cette exception française risque de réapparaître avec le retour de la croissance. Si aujourd'hui l'Allemagne souffre davantage que la France (outre-Rhin, le PIB reculerait de plus de 5 % cette année), elle devrait recouvrer la santé économique plus rapidement. La santé budgétaire aussi, car elle est entrée dans la crise avec des finances publiques quasi équilibrées. Quelle sera son attitude face à un partenaire qui, à ses yeux, n'aura pas fait des efforts suffisants ? D'avance, Paris contre-attaque, insistant sur les faiblesses de son grand voisin. Ses banques, par exemple, beaucoup plus malades que leurs homologues françaises. Une situation sociale très tendue, « à la limite de l'explosion », estime un ministre français : « Les inégalités se sont beaucoup creusées, bien plus que chez nous, et elles ont atteint la limite du supportable. » Message (à peine) subliminal : les Allemands feraient bien de balayer devant leur porte...

Les Français, eux, restent droits dans leurs bottes. « Pour l'heure, nous assumons les déficits », a dit François Fillon au Figaro (14 mai). Après Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde, ministre de l'Economie, le Premier ministre l'affirme : « Nous n'augmenterons pas nos impôts. C'est contre-productif en période de récession, car cela pèse sur la consommation, et c'est dangereux si la situation s'améliore, car cela risque de freiner la reprise. » Le choix est économique : de nouveaux prélèvements pourraient compromettre la compétitivité française. Et politique : imagine-t-on le candidat Sarkozy alourdir la fiscalité à quelques encablures de la présidentielle ?

Les dépenses sociales seront examinées de près

Les finances publiques suivront... Il n'est évidemment plus question de les équilibrer en 2012 et même l'objectif de passer sous la barre des 3 % à cet horizon devrait être remis en question. Paris ayant enfin pris acte de l'ampleur de la récession (la prévision officielle devrait être fixée          autour  de   -3 % au lieu de -1,5 % aujourd'hui), les estimations de déficits vont aussi être revues.

Si elle refuse la hausse des impôts, la France promet de faire de nouveaux efforts du côté des dépenses. Le principe du non-remplacement d'1 fonctionnaire sur 2 partant à la retraite est maintenu. Il sera pleinement appliqué pour la première fois en 2010 (les années précédentes, il avait été adouci). 34 000 postes seront ainsi supprimés. La révision générale des politiques publiques (RGPP) sera relancée et une deuxième vague d'économies est promise pour cet été. Les dépenses sociales - jusqu'à présent épargnées - vont être examinées de près, a assuré le Premier ministre dans Le Figaro. L'exercice ira-t-il très loin ? On peut en douter, vu les résultats des premières mesures de RGPP (7 milliards d'économies sur les 292 milliards d'euros de dépenses de l'Etat) et la difficulté politique de s'attaquer aux dépenses sociales. « Réexaminer certaines niches sociales » (c'est-à-dire des exonérations de cotisation ou de CSG) ou « réorganiser notre système de santé » ne sont pas des évidences, comme le montrent les résistances à deux réformes en cours, celles des universités et des hôpitaux. De plus, la crise rend un tel message inaudible : comment expliquer qu'il faut réformer un modèle social que le gouvernement lui-même dit protecteur en ces temps difficiles ?

Au moment de l'élection présidentielle de 2012, la question des déficits sera donc sur la table. Un avantage pour François Bayrou, qui en avait fait son thème central en 2007 ? « Je doute que Bayrou mène campagne en proposant la retraite à 65 ans, la diminution de la dépense publique de 25 % et la réhabilitation de l'impôt », ironise un proche du président. Pourtant le débat a déjà lieu, et au sein même de la majorité. Des centristes comme Jean Arthuis, président de la commission des Finances du Sénat, ou Charles-Amédée de Courson, député de la Marne, ainsi que Gilles Carrez, estiment inévitable une hausse de la fiscalité.

Les dénégations de l'exécutif sont-elles donc purement incantatoires ? Nicolas Sarkozy et François Fillon mentent-ils pour éviter d'annoncer trop tôt des lendemains qui déchantent ? Ou sont-ils vraiment décidés à assumer la dégradation des finances publiques et ses conséquences, notamment un bras de fer probable avec les Allemands ?

(1) Calculs faits par un expert budgétaire avec les hypothèses suivantes : taux d'intérêt moyen de 3,5 %, déficits à 7 ou 8 % du PIB en 2009 et 2010 et à 4 ou 5 % en 2011.


Corinne Lhaïk



24/06/2009
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